Aromatogramme

Aromatogramme


Aromatogramme : définition

Calquée sur le modèle de l’antibiogramme, l’aromatogramme est une méthode in vitro qui permet de tester et de mesurer l’efficacité du pouvoir antibactérien d’une huile essentielle sur une bactérie donnée.

Parallèlement, l’aromatogramme permet d’apprécier la sensibilité spécifique de la bactérie à cette huile essentielle. La bactérie pourra ainsi être reconnue comme « sensible », « intermédiaire » ou « résistante » à l’huile essentielle testée.

(Source 1, 2)

Descriptif de la méthode

La technique la plus employée par les laboratoires de microbiologie est celle réalisée en milieu solide3 par diffusion sur disque de gélose.

Le principe consiste à ensemencer la surface d’un milieu de culture gélosé (coulé en boite de Pétri4) avec une suspension bactérienne de manière à faire croître les bactéries sur toute la surface de la gélose solidifiée. Puis, on dépose sur la gélose des petits disques de papier buvard (d’environ 6 mm de diamètre) imprégnés par les huiles essentielles que l’on souhaite tester (8µL suffisent). L’ensemble est incubé durant 24 heures à 37°C. Les huiles essentielles diffusent radialement à partir de leur disque vers la périphérie en formant sur leur passage un gradient décroissant de leur concentration. Si l’huile essentielle testée est efficace et que sa concentration est suffisante pour inhiber la croissance bactérienne, il apparaît autour du disque une zone claire, sans croissance bactérienne, que l’on nomme halo d’inhibition. Les diamètres des halos d’inhibition sont mesurés. La zone claire observée autour des disques est proportionnelle à l’activité antibactérienne de l’huile essentielle. Autrement dit, plus cette zone est étendue, plus grande est la puissance de cette huile essentielle contre la souche bactérienne étudiée. À l’inverse, l’absence de zone claire – et donc de zone d’inhibition – traduit l’inefficacité anti-infectieuse de l’huile essentielle pour le germe étudié.

Pour chaque huile essentielle testée, le diamètre du halo d’inhibition permet aussi de calculer la concentration minimale inhibitrice (CMI). Celle-ci est définie comme la plus faible concentration (par unité de volume) d’un agent thérapeutique capable de s’opposer, dans le milieu considéré, à la prolifération visible de la population bactérienne étudiée. Ainsi, en comparant les CMI de plusieurs huiles essentielles entre elles, l’aromatogramme donne de précieux renseignements sur celles qui sont les plus performantes contre un germe donné.

(Source 5, 6, 7)

Naissance du terme “aromatogramme”

Comme le rappelait le docteur Valnet1, « l’étude de l’inhibition des germes par les essences aromatiques in vitro ne date pas d’hier ». En effet, de nombreux travaux avaient amplement confirmé le pouvoir antimicrobien des huiles essentielles employées à faibles concentrations. En 1949, M-P. Schroeder et A-M Messing initiaient une nouvelle technique en mesurant les zones d’inhibition autour de disques de papier filtre imprégnés d’huiles essentielles : l’ancêtre de l’aromatogramme était né !8

En tant que chirurgien militaire, le docteur Valnet a lui-même expérimenté sur le terrain la puissance d’action des propriétés anti-infectieuses des huiles essentielles. De retour en France, il initie de nombreux travaux de recherches pour le prouver scientifiquement. Dès 1958, alors qu’il est médecin-chef du Service médical de l’Administration centrale du ministère de la Guerre, il rédige une note dans laquelle il suggère la faisabilité d’antibiogrammes avec des huiles essentielles, teinture-mères et intraits de plantes.9 Il souhaitait que les résultats obtenus permettent une application pratique pour le malade. Peu après la parution en 1964 de son ouvrage « Aromathérapie, se soigner par les essences de plantes »10 et grâce à la collaboration du docteur Girault (gynécologue de Dijon) et de J. Bourgeon (pharmacien)11, la lacune est bientôt comblée. Les sécrétions des malades sont testées avec les huiles essentielles au sein d’un outil de diagnostic réactualisé facilitant la prescription, au chevet du malade, de celles qui se montrent les plus actives. Parallèlement, pour « familiariser l’oreille des professionnels de la médecine » à ce nouvel examen, ils créent ensemble, en 1973, le terme antibio-aromatogramme qui deviendra quelques années plus tard le néologisme aromatogramme12 dont l’éthymologie vient du grec arôma, arôme et gramma, lettre, lecture.

Afin que les résultats des tests effectués soient considérés comme scientifiquement incontestables, le docteur Valnet, exigeait que ceux-ci soient fiables et reproductibles. La fiabilité fut contrôlée en pratiquant simultanément plusieurs aromatogrammes sur le même germe. La reproductibilité pu être établie en réensemençant le même germe à plusieurs jours d’intervalle.13

L’aromatogramme : outil indispensable ?

Si le docteur Valnet s’est autant intéressé à l’aromatogramme, c’est avant tout pour son impact scientifique destiné à faire reconnaître l’aromathérapie comme un outil thérapeutique à part entière. Depuis, l’usage de l’aromatogramme s’est généralisé dans les laboratoires de recherche. De nombreuses publications scientifiques sont basées sur les résultats obtenus par cette technique qui est restée la méthode de référence pour mesurer et comparer le pouvoir antimicrobien des huiles essentielles. 

Cependant, les travaux sur les aromatogrammes ont permis de mettre en évidence d’autres éléments tout aussi intéressants :

  • Une huile essentielle peut être efficace sur un germe et inactive sur un autre.
  • La CMI d’une huile essentielle est toujours inférieure à la CMI de ses composants testés isolément. Autrement dit l’huile essentielle dans sa globalité agit à plus faible dose que son composant majoritaire, si puissant soit-il. Cette caractéristique illustre bien l’effet de synergie de l’ensemble des composés d’une huile essentielle.
  • Il n’y a généralement pas de relation directement proportionnelle entre la concentration en principes actifs de l’huile essentielle et son activité antimicrobienne. Les composants minoritaires participent aussi à l’activité.

En tant qu’examen complémentaire, l’aromatogramme apparaît comme un outil pratique pour guider le médecin dans la sélection appropriée des traitements pour un individu donné, dans une situation particulière. Toutefois, en aucun cas, il ne fait le diagnostic. Ainsi, à la question : l’aromatogramme doit-il être pratiqué systématiquement en présence d’un état infectieux aigu ou chronique ? Le docteur Valnet, a formellement répondu, non, en ajoutant : « ce n’est pas parce qu’un outil est inventé qu’il faut absolument s’en servir. » Et cela, pour plusieurs raisons :

  • Dans la grande majorité des cas, l’expérience médicale clinique du médecin suffit amplement pour sélectionner les huiles essentielles utiles au patient. De plus, les huiles essentielles les plus actives sont pratiquement toujours les mêmes.
  • Même s’il existe globalement une bonne corrélation entre les données in vitro et l’évolution in vivo, rappelons que les doses administrées des huiles essentielles par voie orale sont nettement inférieures à celles utilisées in vitro (et donc bien inférieures aux CMI correspondantes). Pourtant, l’efficacité thérapeutique se manifeste bien cliniquement. Cela prouve qu’au sein de l’organisme, les mécanismes d’action des huiles essentielles sont différents et complexes. « Un malade n’est pas une éprouvette ! » In vitro, l’action antimicrobienne résulte du contact direct des molécules aromatiques avec le germe. In vivo, aux vues des faibles quantités absorbées, ce contact direct devient plus aléatoire. En revanche, grâce à la synergie de leurs centaines de principes actifs, les huiles essentielles agissent sur l’écologie de l’organisme humain en le rendant impropre à la vie des germes pathogènes. Elles interfèrent parallèlement sur le métabolisme par le biais du drainage des organes et divers effets sur les systèmes de régulation neurovégétatif et endocrinien. Grâce aux modifications apportées, chaque huile essentielle participe à la correction des dérèglements à l’origine de la maladie et exalte les systèmes de défense immunitaire.
  • Par exemple, l’huile essentielle de thym reconnue comme anti-infectieuse majeure in vitro, apporte in vivo à l’organisme malade une contribution remarquable au retour de l’homéostasie14 grâce, entre autres, à ses propriétés de soutien sur la glande corticosurrénalienne et son action sur la fluidité et la diminution des sécrétions (du fait de son effet parasympatholytique). En comparaison, l’huile essentielle d’origan vert, elle aussi fortement anti-infectieuse, agit inversement sur le système neuro-végétatif (par son effet parasympathomimétique), en augmentant les sécrétions. Ces différences montrent pourquoi la sélection de l’huile essentielle de thym par rapport à celle d’origan ne devrait pas s’effectuer uniquement sur leur caractère anti-infectieux.
  • Enfin, le prix élevé et non remboursé de l’aromatogramme a peu à peu dissuadé les médecins de le prescrire.

L’aromatogramme reste indéniablement un outil valable pour les cas particuliers ou rebelles. En revanche son emploi systématique n’est pas justifié dans la pratique médicale courante.En effet, en cas de maladie infectieuse, le médecin en plein exercice de son art, prescrira les huiles essentielles qui lui sembleront les plus adaptées à la situation. Il les choisira non seulement pour leur qualité anti-infectieuse mais également en fonction d’autres critères tout aussi importants, à savoir, la localisation de la maladie, les symptômes associés et la typologie du patient (âge, état de santé, etc.). 

(Source 1, 9, 15, 16, 17, 18)


  1. Dr Valnet J. Aromathérapie, Vigot, 11e édition, 2001, p.58. ↩︎
  2. Fondation Gatefossé, Aromathérapie scientifique : préconisations pour la pratique clinique, l’enseignement et la recherche, 2018, argumentaire version longue, p.7. ↩︎
  3. Deux méthodes sont employées : la méthode de diffusion sur disque et celle du puits d’agar, très proche (non développée dans cet article). D’autres techniques utilisent des milieux différents, notamment la méthode de la micro-atmosphère (milieu gazeux) et sur bouillon (milieu liquide). ↩︎
  4. Boîte de Pétri : boîte cylindrique transparente, peu profonde et munie d’un couvercle, dans laquelle on met en culture une suspension microbienne au sein d’un milieu nutritif solide (agar, gélose) coulé en une fine couche dans la boîte. ↩︎
  5. Da Silva F. Utilisation des HE en infectiologie ORL, Thèse de doctorat en pharmacie, Université de Lorraine, 2010, 25-29 ↩︎
  6. Burt S. Essential oils: their antibacterial properties and potential application in foods- a review, Int. J. Food Microbiol, 2004, vol 94 (3) : 223-253 ↩︎
  7. CA-SFM/EUCAST, Comité de l’antibiogramme de la Société Française de Microbiologie, Recommandations 2023, V.1.O Juin, p.12-14, www.sfm-microbiologie.org ↩︎
  8. M-P. Schroeder, A-M. Messing. Methods for comparing the antibacterial activity of essential oils and other aqueous insoluble compounds, Bull Nat Formulary Comm, 1949, 17, 213-218, in: Renoul H-A. Le docteur Valnet, le soin par la nature, Thèse de doctorat en pharmacie, Université de Nantes, 2014, p.45. ↩︎
  9. Note rédigée le 12 octobre 1958 (archives personnelles de Madame Tiphaigne). ↩︎
  10. Dr Valnet J. Aromathérapie, éd. Livre de poche, 1964 ↩︎
  11. Girault M, Bourgeon J. les cahiers de biothérapie, 1971, n°29, In : Chabenat H. Potentialité in vitro de 10 huiles essentielles, seules ou en association, dans le traitement des infections bactériennes cutanées, Thèse de doctorat en pharmacie, Université de Limoges, 2017, p.36. ↩︎
  12. Le terme Aromatogramme a été déposé le 3 juillet 1978 sous le numéro 284567 (archives personnelles de Madame Tiphaigne) ↩︎
  13. Renoul, H-A. Le docteur Valnet, le soin par la nature, Thèse de doctorat en pharmacie, Université de Nantes, 2014, 47-49. ↩︎
  14. Homéostasie : processus de régulation par lequel l’organisme maintient son équilibre (en gardant les différentes constantes de son milieu intérieur entre les limites des valeurs normales). ↩︎
  15. Jouault S. La qualité des huiles essentielles et son influence sur leur efficacité et leur toxicité, Thèse de doctorat en pharmacie, Université de Lorraine, 2012, 85-94. ↩︎
  16. Chabenat H. Potentialité in vitro de 10 huiles essentielles, seules ou en association, dans le traitement des infections bactériennes cutanées, Thèse de doctorat en pharmacie, Université de Limoges, 2017, ↩︎
  17. Duraffourd C, Lapraz J-C. L’aromatogramme, in : Traité de phytothérapie clinique, édition Masson, 2002, 120-138. ↩︎
  18. Dupin A. Intérêts des huiles essentielles dans la lutte contre l’antibiorésistance induite par les biofilms, Thèse de doctorat en pharmacie n° 129, Université Claude Bernard, Lyon, 2017. ↩︎

Auteur

Aromatogramme

Christine Cieur

Christine Cieur est docteur en pharmacie, ancienne titulaire d’officine. Elle s’est spécialisée en phyto-aromathérapie intégrative afin d’orienter son exercice sur les différentes alternatives médicales : herboristerie, phytothérapie, gemmothérapie, oligothérapie et bien sûr l’aromathérapie.